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Trouve-toit // 3e partie : Boucle d’Or

Trouve-toit est une mini-série écrite par Sophie Bijjani, qui retrace ses aventures en quête de sens, de repos et de repères dans la vallée de la Roya, en France. À travers ces fragments, Sophie partage les moments de doute, d’émerveillement, et de transition qui ont marqué son voyage, à la fois intérieur et extérieur. Plongez dans ses réflexions sincères, ses observations des lieux et des personnes qu’elle rencontre, et sa quête d’ancrage dans un monde en perpétuel mouvement.

Troisième partie: Boucle d’or

Bordel

Te vas Alfonsina con tu soledad. Qué poemas nuevos fuiste a buscar?
(Alfonsina y el Mar – Mercedes Sosa)


Chez Aléa et Léo, c’est le bordel.
La maison qu’ils louent est fatiguée, c’est le moins qu’on puisse dire.

La chasse d’eau se remplit pas, faut la remplir avec une marmite! Ta chambre, c’est ici, si ça te va.

Je vois dans la pénombre un clic-clac. Des boîtes empilées bloquent l’accès à la fenêtre, les volets fermés.

Je réponds rapidement pour court-circuiter mes émotions :
Oui, oui, c’est bon!

Mon cœur se serre un petit peu.

Il y a cette odeur d’humidité, mais c’est surtout l’abandon. La maison. Ils ne l’habitent plus, ils sont pris dans les rénos du nouveau lieu qu’ils ont acheté.

Et pour le gaz…
Je la coupe :
De toute façon je ne mange pas. Je vais chercher mes affaires à l’appart et je reviens!
D’accord, ben moi je vais me faire à manger!


Quand je reviens poser mon sac, Aléa a déjà mis des couvertures et un oreiller sur le lit. Cette attention, si simple et généreuse, m’émeut.

Pour éviter les effluves de son repas et continuer mon jeûne, je pars vers une chapelle qu’elle m’a recommandée.

Elle m’avait dit trente minutes, mais il me faut une bonne heure, tellement je marche alourdie par mes émotions.

L’architecture de la chapelle Sainte-Croix est épurée et belle, surprenante de ses courbes.

Je me pose au soleil plusieurs heures, à attendre que le temps passe, à disséquer mon mal-être sans grande réussite scientifique. Je sieste.


Je repense à la quête de vision du mois passé.
Comme j’avais dormi.

Cette fois-ci, je ne dors pas. Je pense trop, trop, trop. Et le soutien du groupe me manque. C’est trop difficile, toute seule.

Une famille avec trois enfants arrive :
Chut! La dame fait son Yoga!

Ça me fait rire. Ça me plaît de vivre dans une ère où c’est normalisé de dire ça.
Qui veut un goûter? Il y a des gâteaux, des bananes…

— …Je veux le papa de la famille Neige.
Il mange ton téléphone, là.
Oui, je ne sais pas quoi d’autre lui donner.

Je laisse leurs dialogues remplir l’espace sonore, se mélanger avec ma tourmente intérieure. Ça allège le paysage. Pour un instant, je suis avec eux. Puis, je replonge.


Parasite

Je me sens parasite. Pas capable de vivre pour moi-même, toute seule.
N’est-ce pas plutôt la croyance qu’il faut vivre “par soi, pour soi” qui est à démonter?
Cet équilibre ne me paraît pas évident : oui, je cherche le lien, mais je me méfie des autres.
Je veux désespérément croire en la bonté de l’humain, pourtant, je suis toujours prête à partir, au premier signe menaçant.

Ma déprime fait se coucher le soleil.

Il fait rapidement beaucoup plus frais, et je suis contente de ne pas dormir dehors cette nuit. Il est 17h45. La nuit aurait été longue.

Je prends le chemin du retour, pleine de désespoir.

Marcher m’aide à remettre un peu d’oxyègne dans ma noyade. À mi-chemin, une bouffée d’air m’inspire une percée salvatrice:
J’envoie un message vocal à Lorena, ma confidente que je considère comme mon ange gardienne. 


Archéologie

Je soulève la dalle qui cimente mon silence
et plonge dans mes profondeurs.

Un râle. Tant bien que je voudrais le faire taire, chaque mois il me traque.
le désastre, la souffrance, l’horreur que je voudrais oublier
Mais mon sang n’a pas oublié, ni mes profondeurs repliées sur l’épée qui me déchire, moi ou ma soeur.

Pourvu que le massacre cesse.
Est-ce qu’un jour on aura suffisamment d’ancrage pour intégrer l’horreur, l’horreur cristallisée dans mon système?


Je suis toujours surprise de cette violence que je porte en moi. De plus loin que je me souvienne, la seule violence que j’ai vécue outre le capitalisme patriarcal était le silence de ma maisonnée et les colères de mon frère. Mais cette sensation d’être massacrée, je ne sais pas d’où elle me vient. C’est comme si chaque cellule de mon corps portait la mémoire d’une guerre que je n’ai jamais vécue, mais dont les cicatrices sont là, invisibles et brûlantes.


Voilà.  En parlant à Lorena,  la digue s’ouvre et un bout de souffrance coule à travers mes yeux. J’avais besoin de m’exprimer, d’en parler à quelqu’un, de briser mon isolement. Je décide du même coup de briser mon jeûne.

 Je rentre chez Aléa et Léo et nous prépare une soupe. Ils me rappellent que c’est la soirée cinéma organisée par le club de ciné dont June fait partie, ce soir à Tende. Alors moi, quitte à me réintroduire dans la vie normale, je décide de profiter des activités organisées dans le coin. Je leur demande si je peux me joindre à eux. Leur voiture est déjà pleine mais en deux petits messages Whatsapp Aléa me trouve un lift qui me récupère en contrebas à dix minutes à pied si je cours…et elle me trouve un accompagnateur qui prend aussi le lift, pour me montrer le chemin! 

Je n’ai pas le temps de finir ma soupe. Allez, go! 

Je sors de la maison, dévale un vieux sentier dans l’obscurité, arrive au lavoir que m’a indiqué Aléa, continue un petit peu plus bas. Quelqu’un m’y attend. 
Salut! 

— Salut! 
—C’est toi l’amie d’Aléa? 
— Oui.
Je lui tend la main. 
— Sophie!
 Il me la serre. 
— Matéo! 
— Ah! Ben, Matéo, on s’est vus à votre réunion du club de ciné, non?

On continue d’échanger en dévalant vigoureusement le sentier vers la route au fond de la vallée où nous attend notre lift.  J’apprends que sa coloc est partie au Québec et il me propose de rester dans sa chambre jusqu’à son retour. Ça me réjouit! 

[…]

Le film était passable.

Nous rentrons tard, il est dépassé onze heures. Lorena m’a répondu un long message qui m’explose le cœur d’amour et de gratitude. Je me sens vue, aimée, encouragée, honorée, soutenue. J’ai tellement besoin de me sentir en lien. 

[…]


Avertissement

31-octobre-2024

 Le lendemain, après mon (petit) déjeuner, je pars avec mon gros sac vers chez Matéo. J’arrive sur la place de la République, chargée comme une mule. Un trio d’enfant me yeute avec curiosité. Je les salue.

— Bonjour!
— C’est du violet dans tes cheveux? 

Une mère sort sa tête d’un des balcons plus haut.
Vous cherchez quelqu’un? 

— Matéo! 
— Élie! Va lui montrer, c’est à côté de chez Tatie Isa! 

Et voilà comment, en dix petits pas d’Élie, me voici au pied du 48. J’entame l’ascension des 32 marches qui mènent chez Matéo.

C’est aussi en déménagement chez Matéo.  Eux, ils arrivent.
Tous ces gens rencontrés ces dernières vingt-quatre heures qui déménagent, investissent des nouveaux lieux, s’ancrent ici ou là, évidemment, ça me donne envie. Mais pas à tout prix. Ce n’est pas facile pour moi de naviguer entre l’engagement et mon besoin de liberté. 

La chambre est au tout dernier étage. Mistrigri, bébé chat, garde les escaliers, dont le nivelage ferait tomber n’importe quelle ivrogne du village. À ça s’ajoute un challenge supplémentaire: les marches montent mais le plafond ne suit pas. Attention à la tête! 

Je me penche pour entrer et soupire de soulagement. C’est beau, ensoleillé, avec vue sur les montagnes et la Roya.

Alléluia! Le ciel soit loué, mes prières ont été entendues et exaucées. Dans la chambre, c’est calme, bien rangé, joyeux, style pinterest. Je me sens apaisée. 

Il y a une petite bibliothèque remplie de livres et d’oracles de sorcière. Je prends l’oracle qui m’appelle le plus. En ouvrant la boîte, un bout de papier enroulé autour d’une canine d’animal et de  deux cartes se démarque du reste du paquet. Je les mets de côté et pige deux cartes, une coquille – protection,  et des ronces – limites,  danger. J’en conclus que l’oracle me dit de ne pas fouiller dans ses choses comme ça et remet le tout à sa place, demandant pardon. Je m’étale au soleil sur son lit et m’endort paisiblement, si heureuse de ce nouveau chez-moi temporaire.

Lorsque je me réveille de la sieste, j’ai reçu un texto de Matéo. 

« Hello! J’ai prévenu ma coloc pour que tu dormes dans sa chambre, et je ne le pensais pas, mais elle est pas OK avec ça. Je suis un peu navré du coup d’avoir anticipé. Tu peux rester dans le canap’ ce soir ou dormir à l’appart de Leila. Je peux te monter où c’est cet aprem. » 

Immédiatement mon plexus se crispe et je me sens coupable. Un malaise s’installe en moi, l’impression d’avoir, telle une Boucle d’or naïve et opportuniste, violé l’intimité de mon hôtesse non consentante. Je comprends mieux les cartes maintenant…

Je refais mon sac, dis au revoir à Mistrigri et descends attendre Matéo sur la place. J’y croise Sylvia qui se gorge de soleil, et m’installe à côté d’elle.

Elle fait une thèse sur les femmes bâtisseuses. Je lui parle de ma quête de maison. Après quelques échanges, elle lâche, comme si c’était évident: 

Voilà! Toi ton sujet, ton point de vue, c’est d’explorer comment les gens s’ancrent! Les différentes manières, que ce soit dans la façon d’habiter les lieux ou d’autres façons qu’à travers les maisons. 

Bénie sois-tu, Sylvia. Dans tes mots, ma quête semble être du génie. 

[…]

Matéo me rejoint et nous remontons le village vers un nouveau lieu d’atterrissage, disponible pour la semaine. Une amie écrivaine, partie à Paris.

Parlons-en. Ça m’est un peu inconfortable de recevoir toute cette aide, de demander autant à des inconnus. Et pourtant, je constate que ça m’est plus facile que de demander à des gens que je connais. Il y a quelque chose de tragique dans cet énorme besoin de lien et cette fuite, cette sensation d’isolement que je vois si clairement en moi. Et en même temps, je réapprends une base qui semblait me manquer jusqu’à là. C’est à travers mes besoins que je peux me relationner aux autres. Il y a quelque chose de vrai, d’universel là-dedans. L’humain comme cellule individuée n’est qu’un amoncellement d’ego. Je le sais, dans ma tête. Aujourd’hui je le ressens, dans mon corps. 


 Nous passons devant le premier appart où j’ai logé il y a deux nuits, et empruntons le même chemin que ma première balade matinale.  La fontaine, le petit chien, les oliviers, le petit jardin….Il s’arrête devant la porte avec les autocollants militants.. “Siamo tutti antifascisti” 

Bon, voilà, c’est ici. Ça te va?
Oh! L’endroit où j’avais fantasmé de rester.  
Oui. C’est super. Merci, Matéo. 
— Pas de quoi. À toute.

Et il redescend travailler, pendant que je rentre éberluée, dans l’appart. 

Je m’émerveille du déroulé de cette pièce de théâtre qu’est ma vie. Je n’aurais pas pu mieux orchestrer l’affaire.

Prête à célébrer dûment ce 31 octobre et cet appart, je descends à l’épicerie du village. Montbazillac, quatre sortes de fromage… Allez, c’est la fête!
Ce soir-là, je soupe avec mes fantômes et nous concocte un plat de sédentaire. 

Au départ,  l’idée d’un logement seule me plaisait moins que de rester chez Matéo, mais au final, je réalise que ça va me faire du bien, de me retrouver posée quelques jours seule…dans les livres d’une autre! 

Je remercie celles qui m’ont dit non et cette vie qui dit  OuI!


Impermanence

02- novembre – 2024

Jésus loge chez Zachée, Sophie loge chez Leïla

qu’elle ne connait pas et qui n’est pas là. Que les vents des pèlerins la gardent. 

Je met mets à écrire cette histoire tout en dégustant cet appart et le soleil matinal. Sur la terrasse avec vue sur le Monastère, je me dépose en me disant: 

C’est pour toujours, et ça pourrait s’arrêter n’importe quand.

[…] Quelques heures plus tard: 

Matéo:
« Hello Sophie, ça va? J’espère que tu as passé une bonne nuit. Aujourd’hui il y a l’ami de Leïla qui rentre et qui va récupérer l’appartement juste pour cette nuit. Est-ce que tu aurais un plan B juste pour ce soir?” » 


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